Activités de recherche

"On fait la science avec des faits,                                               
comme on fait une maison avec des pierres :                        
mais une accumulation de faits n'est pas plus une science
qu'un tas de pierres n'est une maison."       
H. Poincaré           

Rôle des organismes vivants dans le fonctionnement des écosystèmes marins

Les perturbations naturelles ou anthropiques que subissent ces écosystèmes (augmentation de température, pêche intensive, contaminations, …) modifient leur fonctionnement et leur réponse dépend en partie de la capacité des espèces qui le composent. L’amélioration des connaissances dans ce domaine est un prérequis pour une meilleure gestion des écosystèmes marins. La modélisation est une approche courante aujourd’hui pour intégrer les processus supposés majeurs et tester différents scénarios de perturbations.

Plus précisément, les modifications environnementales induites par les perturbations affectent en premier lieu les organismes à l’échelle individuelle. La réponse des individus par des modifications de leurs propriétés individuelles (physiologie, comportement, …) conditionne au moins partiellement la réaction de l’écosystème aux perturbations subies. D’une manière générale, il est utilie de développer des méthodes qui permettent d’intégrer les propriétés individuelles des organismes dans des modèles de populations, de communautés ou d’écosystèmes pour répondre à des questions du type :

1) quels sont les effets de modifications des propriétés individuelles au niveau de la population, de la communauté ou de l’écosystème ? 

2) est-ce que ces effets sont significatifs ou négligeables, doit-on les intégrer d’une manière ou d’une autre dans les modèles écosystémiques ? 

3) si la réponse individuelle a des effets à l’échelle globale, comment l’intégrer pour que la complexité des modèles écosystémiques reste raisonnable ?

4) comment la réponse de l’écosystème rétroagit à son tour sur les organismes qui le composent, tout du moins sur ceux des groupes fonctionnels importants ?

La réponse passe par la définition de traits fonctionnels à l’échelle individuelle et sur la notion de transfert d’échelles pour analyser le rôle des traits fonctionnels des individus à l’échelle d’une population, d’une communauté ou de l’écosystème. Les traits fonctionnels auxquels je me suis intéressé, entrent essentiellement dans le cadre de relations trophiques, ce qui autorise une meilleure représentation des flux d’énergie dans les réseaux trophiques marins et une meilleure compréhension du fonctionnement de ces derniers, et de leurs réponses aux perturbations.



Recherche de formulations adaptées pour la représentation des processus à une échelle donnée - Sensibilité structurelle

En l’absence de lois fondamentales (contrairement au cas de la physique par exemple), les formulations utilisées en écologie dépendent en partie de choix arbitraires liés essentiellement à la formation du modélisateur et des articles sur lesquels s’appuient son travail. On trouve très souvent, pour un même processus, une multitude d’approches et de formulations. Or il est maintenant bien connu que ce choix, même lorsqu’il peut sembler anecdotique sur le plan quantitatif (par exemple, prendre arbitrairement une formule parmi plusieurs qui donnent quantitativement des valeurs très proches), peut avoir des conséquences significatives sur les sorties du modèle, ce phénomène est connu notamment sous le nom de sensibilité structurelle. Là encore, notre capacité à relier proprement différents niveaux d’organisations et à établir des liens formels qui autorisent la comparaison de données acquises à ces différents niveaux d’organisation et aux différentes échelles spatio-temporelles, nous permet de produire des formulations mécanistes, en ce sens qu’on peut leur donner un sens biologique précis et que les paramètres qui interviennent sont également chargés de sens.



Quelques exemples

1 – Analyse de la réponse fonctionnelle dans les systèmes prédateurs – proies

La réponse fonctionnelle dans un système prédateur – proie est la fonction qui représente la quantité de proies consommée par prédateur et par unité de temps. C’est donc une mesure du flux de matière ou d’énergie qui passe d’un niveau trophique au niveau supérieur. C’est également une fonction qui représente la synthèse de nombreux processus qui se jouent à l’échelle individuelle (comportement de chasse ou de fuite, capacité de détection des proies et/ou des prédateurs, interférences entre les prédateurs, satiété, etc.) et qui opèrent à l’échelle populationnelle ou des communautés. Elle dépend également des distributions des populations et subit des effets de densités. C’est donc un excellent exemple de processus à représenter dans le contexte que j’ai décrit précédemment. Nous avons développé une méthode permettant de construire la réponse fonctionnelle sur des bases mécanismes de comportement des individus dans un environnement hétérogène.

2 – Biogéochimie sédimentaire et cycle de l’azote

Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce sujet en 1995, l’idée que la bioturbation (=remaniement sédimentaire induit par la macro et la méiofaune) jouait un rôle important dans le cycle de la matière dans les premiers centimètres de la couche sédimentaire était admise, mais les modèles ne représentait pas (ou mal) ce processus. En collaboration avec une doctorante de l’époque, nous avons mis en place un modèle de comportement représentant les 4 groupes fonctionnels de remaniement pour étudier l’impact de la communauté macrobenthique sur la redistribution de la matière organique et l’oxygénation des galeries, qui conditionnent l’environnement microbien et le cycle de l’azote. Nous avons également pu mettre en évidence grâce au modèle l’existence d’un 5ème groupe fonctionnel.

3 – Prise en compte de la structuration physiologique dans les modèles de communautés marines

 Un dernier exemple concerne la conception et l’analyse d’un modèle de communautés marines représentant les hauts niveaux trophique, fondé sur la théorie DEB (Dynamics Energy Budgets) qui décrit les flux bioénergétiques à l’échelle individuelle. Le développement de ce modèle se poursuit et a vocation à être intégré dans un modèle écosystémique. Nous l’utilisons pour comprendre le rôle de la pêche sur la structure spécifique et fonctionnelle de la communauté.

4 – Impact de la formation de bancs de poisson sur les flux trophiques des hauts niveaux

Il s’agit d’un travail en cours de développement qui vise à relier la réponse fonctionnelle à l’échelle populationnelle aux propriétés individuelles (comportements de déplacements, alignement, fuite, etc.). Nous partons d’un modèle individu-centré type agent et développons une méthode permettant de construire un modèle eulérien de type EDP (équations aux dérivées partielles) pour représenter la communauté à l’échelle globale.